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Compter des impacts environnementaux avec les approches attributionnelles et conséquentielles

Image de couverture de l'article, basée sur les images de Romain Guy (https://www.flickr.com/photos/24046097@N00/34312003671) et de ChrisA1995 (https://www.flickr.com/photos/61846758@N02/6331273529)

Auteur : David Ekchajzer

Relecteur.ice.s : Jacques Combaz et l'équipe Hubblo

Remerciements : Adeline Agut, Bruno Thomas

Introduction

Les impacts environnementaux sont des phénomènes physiques qui prennent place au sein de la biosphère. Ils peuvent être localisés sur des territoires particuliers (occupation des sols, pollution de l’air, etc.) ou globaux (participation au réchauffement global, déplétion des ressources abiotiques, etc.). L’évaluation de ces impacts environnementaux peut être conduite par le biais d’instruments de mesures physiques (avec un capteur de dioxyde de carbone par exemple). C’est le cas de la pollution des sols, de l'air ou de l’eau lorsqu’elle est mesurée directement sur les écosystèmes. Ces mesures d’impacts permettent de comprendre les contraintes environnementales, physiques, passées et actuelles.

Cependant, en caractérisant uniquement des phénomènes prenant place dans la biosphère, elles permettent difficilement d’orienter la consommation, la production ou les politiques publiques qui sont des phénomènes socio-économiques prenant place au sein de la technosphère.

La biosphère correspond à l'ensemble des écosystèmes terrestres présents sur la lithosphère (terre), l'atmosphère (air) et l'hydrosphère (mer). La technosphère correspond à la partie de la biosphère modifiée par les activités humaines.

C’est là que la comptabilité environnementale intervient. Elle permet de faire correspondre à des réalités socio-économiques (un produit, un service, une unité de monnaie, une action, une politique, etc.) une matérialité physique caractérisée par des impacts environnementaux.

On parle de cette matérialité en unité physique : Des kgCO2eq. pour la contribution au réchauffement climatique globale, des m3 pour la déplétion d’eau ou encore des kg pour la transformation des sols (voir PEF1). Cela laisse à penser que les valeurs produites par la comptabilité environnementale sont de même nature que celles produites par des instruments de mesure physique tels qu’un capteur de CO2, un contenant gradué pour évaluer des m3 ou une balance pour évaluer des kg.

Cependant, lorsqu’elles sont utilisées dans le cadre de la comptabilité environnementale, ces unités ont vocation à décrire non seulement des réalités physiques, mais également des réalités socio-économiques. En effet, associer des impacts environnementaux à des réalités socio-économiques n’est pas une démarche neutre, mais relève d’une approche comptable qui répond à des règles techniques établies s’inscrivant dans des paradigmes de modélisation (principes logiques et politiques). Ce sont ces principes qui définissent la manière dont sont liées les activités humaines de la technosphère et les impacts environnementaux qui ont lieu dans la biosphère.

Schéma représentant la biosphere, la technosphere et la comptabilité environnementale

La comptabilité environnementale associe une activité de la technosphère à des impacts qui ont lieu dans la biosphère (ressources consommées ou pollutions dans l’air, l’eau et le sol tout au long du cycle de vie).

Plusieurs paradigmes existent pour établir ce lien. Chacun des paradigmes possède sa propre utilité, et repose sur ses propres principes méthodologiques. Dans cet article, nous proposons de présenter trois grands paradigmes de modélisation : l’attributionnel, le conséquentiel court-terme, et le conséquentiel long terme.

Cet article a été écrit dans le cadre de l’analyse de cycle de vie de Iroco, un service mail éco-conçu. Les impacts environnementaux du mail reviennent très régulièrement dans les conversations liées au numérique responsable, à tel point que ce sujet finit parfois par agacer les praticiens de l’évaluation environnementale. Si ses impacts sont probablement surestimés par le grand public, son caractère fondamental dans nos usages du numérique en fait un excellent cas d’étude pour comprendre comment les faire évoluer. C’est ce parti qu’a pris Iroco. Après avoir proposé un service mail éco-conçu en appliquant un certain nombre de principes d'optimisation, iels ont souhaité dépasser le cadre de l’efficacité pour proposer des fonctionnalités modifiant les usages, poussant les usag.ère.er.s à la sobriété. Pour comprendre la pertinence des leviers envisagés, iels ont souhaité conduire une étude environnementale. L’étude complète peut-être téléchargé ici. Vous pouvez retrouver au cours des prochaines semaine une serie d'article sur le blog d'Iroco qui détail la mise en oeuvre et les resulats de l'étude. La particularité de cette étude est qu’elle met en œuvre les trois approches mentionnées plus haut afin de répondre de la manière la plus complète aux interrogations d’Iroco. Cet article s’appuie sur cette étude pour illustrer les trois paradigmes évoqués précédemment.

En Analyse de Cycle de Vie (une méthode de comptabilité environnementale), les activités évaluées sont décrites par une unité fonctionnelle (UF). Par souci de clarté, nous nommons dans la suite de cet article UF l’activité évaluée dans le cadre d’un acte de comptabilisation environnementale.

L'unité fonctionnelle est l'unité de mesure utilisée pour évaluer le service rendu par le produit ou service considéré. De la même manière que pour comparer le prix de deux fruits, un consommateur ramène les prix au kilo, pour comparer les impacts environnementaux de deux produits, on ramènera les impacts à une unité de mesure commune.

Paradigme attributionnel

L’analyse attributionnelle vise à répondre à la question : “Quelle part des impacts totaux de mon système peut-on attribuer à l'Unité Fonctionelle ?”. Il s’agit ici de caractériser les impacts de l’UF en lui attribuant une part des impacts globaux d’un système considéré dans une situation de statu quo (c'est-à-dire figé). Dans une méthode attributionnelle, la somme des impacts des fonctions fournies par un système doit être égale à l’impact du système. Par exemple, évaluer les impacts de mails consiste à leur associer une part des impacts du service mail de manière que la somme des impacts des mails soit égale à l’impact du service mail.

ACV-A(SYSTÈME) = SOMME(ACV-A(UF))

Le paradigme attributionnel est celui qui est utilisé dans l’immense majorité des évaluations environnementales, en particulier dans les études relatives aux services numériques. Il est aussi à la base du Bilan Carbone qui vise à attribuer des émissions de gaz à effet de serre aux entités dans une chaîne de valeurs, ou l’ACV-attributionnelle (ACV-A) qui vise attribuer des impacts environnementaux à un produit ou un service selon plusieurs catégories d’impacts. Il a été utilisé dans une étude publiée par l’ADEME en 2016 qui arrivait à la conclusion que l’impact du cycle de vie d’un mail de 1 Mo était de 19 gCO2eq.2

Illustration du périmètre couvert par une ACV attributionnelle

Ekvall 2019 [3], d'après Weidema 2003 [4].

Les grands cercles symbolisent les charges environnementales totales du monde. Le camembert correspond à l’ensemble des impacts d’un système. Une méthode attributionnelle permet d’associer une part de ces impacts à l’unité fonctionnelle considérée. Étant dans une situation de statu quo, le cercle n’est pas modifié par l’UF.

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Pour déterminer la part des impacts du système à associer à l’UF, on suit les liens physiques (énergie et matière) nécessaire à la mise en œuvre de l’UF jusqu’à arriver à des impacts environnementaux. En d’autres termes, on inclura l’impact d’une ressource si elle est mobilisée « physiquement » dans le cadre du cycle de vie du produit ou du service évalué. Dans le cas du mail, il s’agira par exemple de partir des terminaux (TIER 1), du réseau (TIER 2) et des datacenters (TIER 3) mobilisés et de tirer de proche en proche les liens physiques impliqués par chacune de ses ressources jusqu’à arriver à des impacts environnementaux. En pratique, pour éviter de décrire exhaustivement l’ensemble des flux physiques, on utilise des facteurs d'impacts permettant de factoriser la matérialité environnementale d’une ressource.

Diagramme de flux de l'envoi d'un email

Exemple de diagramme de flux décrivant le processus d’envoi d’un mail ainsi que les flux nécessaires à la mise en œuvre de la fonction. L’objectif est de tirer les flux jusqu’à arriver aux impacts environnementaux en rouge.

La plupart des systèmes mobilisés dans le cycle de vie d’un produit ou d’un service servent d’autres produits ou services. Ils produisent donc plusieurs fonctions qui ne sont parfois pas commensurables (c'est-à-dire que leur qualité ne sont pas directement qualifiables par une même unité de mesure). On appelle ce type de systèmes des systèmes multifonctionnels. Les services numériques sont particulièrement pourvus en systèmes multifonctionnels par la forte mutualisation des infrastructures et des équipements. Les “TIERS” mobilisés pour délivrer un mail sont utilisés pour délivrer d’autres mails, mais également pour d’innombrables autres services qui ne sont pas commensurables entre eux (un service de paiement n’est pas comparable à un service de streaming). Dans ce cas, le paradigme attributionnel suppose d’affecter une fraction des impacts du système à l’UF considérée. Pour partitionner ces impacts entre les différentes fonctions fournies par un système multifonctionnel, on utilise des clés d’allocations.

Une clé d'allocation permet de distribuer les impacts environnementaux d'un système impliquant des fonctions multiples.

La clé d'allocation peut être physique : poids, volume, temps, etc. La clé d'allocation peut être socio-économique : prix, valeur symbolique, etc.

Bien que les justifications à l’utilisation de certaines règles d’allocation soient en partie objectivables, notamment en ce qui concerne les critères physiques, elles sont bien souvent de l’ordre d’un choix subjectif, voire politique, que ce soit de façon explicite ou implicite. En effet, les règles d’allocation sont le reflet, notamment, de la façon dont les parties prenantes souhaitent distribuer les responsabilités environnementales dans une chaîne de valeurs. Dans le cas du mail par exemple, comment partitionner les impacts du réseau ? Plusieurs possibilités sont envisageables :en fonction de la quantité de données utilisées, en considérant uniquement le nombre de mails, ou encore l’importance des usages. Une limite majeure réside dans la très grande sensibilité au choix de la règle d’allocation (cette idée fera l’objet d’un prochain article) et dans le fait que, dans bien des cas, différentes règles peuvent se justifier.

L'intérêt de l’approche attributionnelle est qu'elle permet d’associer une matérialité environnementale à l'ensemble de la technosphère, tout en attribuant des responsabilités à tous les impacts qui en sont issues. Elle permet donc de définir des budgets ou encore d’identifier les acteurs qui sont les plus dépendants des impacts environnementaux dans une chaîne de valeur, le degré de dépendance étant en partie déterminé par les règles d’allocation. Cependant, cette approche ne permet pas d’identifier avec complétude les mécanismes physiques et socio-économiques induits par la mise en œuvre de l’UF, puisqu’elle nécessite en particulier de raisonner dans un système figé. De ce fait, elle ne s’intéresse pas non plus aux changements qui ont lieu dans la technosphère (modification des quantités produites et/ou consommées, des processus de production, etc.).

En suivant une approche attributionnelle, et avec les hypothèses retenues, l’étude Iroco évalue les émissions de gaz à effet de serre attribuables à une semaine d’usage d’une boîte mail à 63,2 gCO2eq.

Paradigme conséquentiel

À l’inverse de l’approche attributionnelle, le paradigme conséquentiel permet d’identifier les impacts issus des changements induits par l’UF. Il permet de répondre à la question “Quel est l’impact environnemental induit par la mise en œuvre de l’UF ?”. En d’autres termes, il s’agit de faire la différence entre un monde dans lequel l’UF a été mise en œuvre avec un monde hypothétique où l’UF n’a pas été mise en œuvre. On s’intéresse dans cette approche seulement aux effets postérieurs à la mise en œuvre de l’UF5, là où le paradigme attributionnel va également s’intéresser aux impacts des ressources qui ont été nécessaires à sa mise en œuvre et qui ont eu lieu avant celle-ci.

Théoriquement, ce paradigme est censé décrire les conséquences physiques et socio-économiques induites par la mise en œuvre d’une UF supplémentaire. Elle permet donc de répondre à des questions relatives à une action (par exemple : quel est l’impact de charger son véhicule électrique à 16h, ou de manière plus globale quel est l’impact de l'électrification de 80% du parc automobile à l’horizon 2040).

Illustration du périmètre couvert par une ACV conséquentielle

Ekvall 2019 [6], d'après Weidema 2003 [7].

Le camembert correspond à l’ensemble des impacts du système à un instant t. Une méthode conséquentielle permet de déterminer les modifications apportées aux impacts représentés par le cercle, représentées ici par les arcs de cercle (diminution ou augmentation des impacts).

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Dans la pratique, il s’agit de suivre de proche en proche les conséquences induites par la mise en œuvre de l’UF jusqu’à arriver à des conséquences environnementales. En d’autres termes, un impact est retenu dans cet inventaire si cet impact n’aurait pas été produit sans l’UF.

Arbre de conséquences de l'envoi d'un mail

Exemple de graphe de conséquence pour caractériser l'envoi d’un mail. Seule l’approche conséquentielle long terme prend en compte les conséquences grises.

Comme dans le cas de la méthode attributionnelle, il est possible d’utiliser des facteurs d’impacts conséquentiels qui caractérisent les conséquences environnementales d’une action. Il existe considérablement moins de facteurs d'impacts conséquentiels, en particulier dans le numérique où aucune base de données ne fournit des facteurs spécifiques au secteur. C’est notamment pourquoi ce paradigme est peu utilisé, même pour répondre à des questions relatives à l’évaluation d’un changement et qui relèvent donc du paradigme conséquentiel. L’approche attributionnelle est donc bien souvent utilisée, en substitution, de manière consciente ou inconsciente sans garantie de fiabilité (voir section E).

Par définition, le paradigme conséquentiel ne prend pas en compte les impacts liés à la mise en place des infrastructures existantes, puisque seules les conséquences post UF sont considérées. Cette approche ne permet donc pas de raisonner sur les impacts environnementaux passés, mais seulement sur les impacts environnementaux futurs. Elle n’est ainsi pas adaptée pour définir des responsabilités environnementales, mais consiste plutôt en un outil de pilotage pour atteindre des objectifs environnementaux.

On peut citer deux formes d’approche conséquentielle : le conséquentiel court terme (ou “approche marginale”) et le conséquentiel long terme. Ces deux formes s’opposent sur la prise en compte du changement des capacités de production induit par l’UF. Cependant, en pratique, les deux formes peuvent être combinées.

Paradigme conséquentiel court terme

Le conséquentiel court terme ou approche marginale s’intéresse aux impacts environnementaux directement induits par un changement marginal de la consommation ou de la production (par exemple les impacts d’une unité produite supplémentaire). Dans cette approche, on regarde les conséquences à « court terme » de la mise en œuvre de l’UF (surconsommation d’énergie, de matières, etc.), au sens où, n’ayant pas le temps de s’adapter à ce changement, les infrastructures sont considérées comme constantes.

Reprenons le graphe de conséquence. Dans cette approche, seules les conséquences marginales sont considérées (en noir). Il s’agit principalement pour ce service de la consommation d’énergie des équipements mobilisés lors de l'envoi d’un mail :

  • Le terminal émetteur pendant l’écriture et l'envoi et récepteur lors de la réception et la lecture du mail
  • Les équipements réseaux durant le transfert des données
  • Le datacenter durant le traitement du mail.

Puisque nous sommes dans une approche marginale, seule la consommation électrique marginale induite par l'envoi du mail est considérée. Pour déterminer la consommation marginale, on se demande quelle aurait été la consommation électrique si le mail n’avait pas été envoyé et on la compare avec la situation dans laquelle le mail a été envoyé (situation de référence).

Exemple pour le réseau IP

Dans le cas du réseau par exemple, on considère uniquement la consommation électrique induite par l’ajout d’une certaine quantité de données transférées sur le réseau. Comme l’ont montré Malmodin & al. (2020)8, la consommation électrique des réseaux numériques n’est pas linéairement reliée à la quantité de données transférées : ils se comportent comme une fonction affine (de type a*x+b). Pour maintenir un haut niveau de disponibilité, une partie importante de la consommation électrique est fixe (“b”), c’est-à-dire qu’elle est consommée quelque soit la quantité de données transférées. Nous ne comptabilisons donc pas cette part dans l’approche marginale. L’autre part de la consommation électrique est dynamique et dépend linéairement du débit (la quantité de données transférées sur une unité de temps, “ax”). La consommation marginale du réseau ne dépend que du coefficient “a”. En effet, une variation “dx” de la quantité de données transférées induit une surconsommation électrique de “a(x+dx) + b - (ax+b) = adx”. C'est cette part qui est considérée dans l’approche marginale.

Schema illustrant le Power Model

Profil de consommation d’un équipement réseau n. (1) Correspond à la consommation fixe et (2) à la consommation marginale. Malmodin (2020) [9]

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Impact marginal de l’électricité

Une fois la consommation électrique marginale identifiée, il est nécessaire de déterminer l’impact associé à cette unité d’énergie supplémentaire consommée sur le réseau électrique. En d’autres termes, nous voulons connaître la différence d'impact entre un monde dans lequel nous aurions consommé cette unité et un monde dans lequel nous n’aurions pas consommé cette unité.

Nous ne pouvons pas utiliser une approche moyennant les impacts du mix électrique, car l’ensemble des centrales ne vont pas augmenter leur production de manière homogène, mais une centrale va produire cette unité d’électricité supplémentaire. Pour déterminer l’impact marginal, il faut identifier quelle source d’énergie va être mobilisée pour répondre à cette demande et identifier l’impact de la production d’une unité d’énergie par cette source.

Pour la déterminer, il faut s’intéresser au fonctionnement du réseau électrique et plus précisément au mécanisme du “merit order”. Selon ce mécanisme, c’est la centrale avec le plus faible coût marginal (coût monétaire associé à la production d’une unité d’électricité) qui va répondre à une demande supplémentaire, parmi les centrales n’ayant pas atteint leur capacité de charge maximale. On appelle cette centrale le fournisseur marginal. Les sources d’énergie avec le coût marginal les plus faibles sont également les centrales avec les émissions de gaz à effet de serre marginal le plus faible. Le facteur d’impact marginal dépend de la technologie du fournisseur marginal. Par exemple, pour le renouvelable et le nucléaire, il sera très faible, disons 0 gCO2eq / kWh. En effet, les impacts de ces sources d’énergie proviennent principalement de la fabrication et de la fin de vie des infrastructures. 0 gCO2eq / kWh reste une simplification, car en réalité l’impact marginal devrait intégrer la production des combustibles nucléaires ou les diverses consommations électriques nécessaires au fonctionnement du réseau électrique et des infrastructures. À l’inverse, pour une centrale à charbon, l’impact marginale est d’environ 1000 gCO2eq / kWh.

Graphique illustrant le coût marginal de l'électricité en fonction de la source de production

Voir l'article de Tmrow / ElectricityMap

L’étude Iroco propose une approche (basée sur des données datées, seules disponibles au moment de l’étude) pour déterminer l’impact marginal de l’électricité en fonction de l’heure.

Avec cette approche marginale et ses hypothèses, l’étude évalue les émissions de gaz à effet de serre marginales d’une semaine d’usage d’une boîte mail à 0,20 gCO2eq. Comme on peut s’y attendre, l’impact affiché du service mail est bien plus faible que pour l’approche attributionnelle (près de 300 fois moins impactant). Cela s’explique par la non-considération dans cette approche des impacts de la fabrication, de la distribution et de la fin de vie, ni des impacts issus de la consommation électrique fixe des équipements réseaux et d’infrastructure.

L’étude permet de montrer que les principaux impacts environnementaux du mail ne résident pas dans les conséquences directes de leurs envois, mais plutôt dans l’ensemble de la chaîne de valeur nécessaire à son fonctionnement. S’intéresser aux impacts des mails via une approche conséquentielle court terme ne permet pas d’appréhender l’ensemble des impacts qu’implique l'existence de ce service numérique. Il en va de même pour la plupart des services numériques.

Paradigme conséquentiel long terme

Le conséquentiel long terme s’intéresse aux changements sur des temps plus longs, typiquement qui permettent aux infrastructures et aux fournisseurs d’adapter leurs équipements (le capital) aux variations de demande. Il inclut donc les transformations du système socio-économique conséquentes à la mise en œuvre de l’UF. Il permet d’adresser les effets indirects de l’UF (effets rebond, substitution, effets d’induction, etc.). Cette approche permet de prendre en compte la création de nouvelles infrastructures ou leur démantèlement.

Puisqu’une grande variété de conséquences peut être considérée dans cette approche, la sélection de celles à inclure dépend beaucoup de la question posée ou encore de la sensibilité de praticiens conduisant l’étude. De plus, parmi les conséquences pouvant être identifiées, certaines ne sont tout simplement pas quantifiables. Quand cette approche est mise en œuvre, nous défendons une approche mixte (quanti/quali) pour pouvoir traiter l’ensemble des conséquences identifiées.

Dans l’étude Iroco par exemple, nous investiguons le levier d’augmentation de la durée de vie des terminaux utilisateurs grâce à la rétrocompatibilité du service. Dans l’approche attributionnelle, nous pouvons évaluer la pertinence avec une approche quantitative en amortissant les impacts des terminaux sur une durée de vie plus importante. On obtient les résultats suivants en fonction du nombre d’années supplémentaires.

Graphique illustrant l'impact de l'augmentation de la durée de vie des équipements

Bien que cette approche offre une vue quantitative sur les potentiels gains permis par un levier d’éco-conception, elle est très limitée dans les dynamiques incluses dans l’analyse. C’est pourquoi, nous avons mené une approche complémentaire qualitative suivant une approche conséquentielle long terme matérialisée par des graphes de conséquence. Ci-dessous, le graphe de conséquence lié au levier de rétrocompatibilité permet de faire apparaître les conséquences sur le taux de renouvellement des appareils (et leur durée de vie) comme dans l’approche attributionnelle. Elle permet également de montrer les effets rebonds directs et indirects liés à la réallocation des économies faites en ne renouvelant pas son terminal. Elle permet également de faire apparaître les facteurs externes qui s’exercent sur les conséquences identifiées. Ici, nous montrons qu’Iroco doit à la fois travailler contre l’obsolescence psychologique qui est l’une des principales causes de la faible durée de vie des terminaux, mais également travailler de concert avec les autres services qui influent également sur le renouvellement des appareils.

Arbre de conséquences du déploiement du service Iroco

Cas particuliers

Théoriquement, les paradigmes attributionnel et conséquentiel donnent les mêmes résultats si les impacts environnementaux considérés sont linéairement reliés à l’unité fonctionnelle considérée. En d’autre terme, si mettre en œuvre une même UF entraîne des conséquences environnementales toujours égales, ces conséquences peuvent être évaluées avec chacune des approches. Ceci est vrai puisque dans une fonction linéaire, les impacts moyens sont égaux aux impacts marginaux. Une démonstration mathématique peut être trouvée ici10.

Prenons comme exemple l’évaluation des émissions de particules fines d’un moteur thermique pour l’UF “parcourir 1 km en voiture thermique à 100km/h”. Dans une approche attributionnelle, il serait nécessaire d’intégrer l’ensemble du cycle de vie comme la fabrication de la voiture ou encore des infrastructures routière. Dans le cadre de cet exemple, on considère uniquement la phase d’usage afin d’illustrer notre point.

Dans cette situation, on peut considérer que la condition de linéarité est quasiment satisfaite puisque la combustion et les émissions associées sont linéairement reliées à la distance parcourue définie dans l’UF. Dans ce cas, les méthodes attributionnelle et conséquentielle devraient fournir des résultats similaires.

En réalité, de nombreux paramètres influent de manière non linéaire sur les émissions de particules fines d’une voiture comme la température du moteur, les caractéristiques de la route ou encore le mode de conduite. Ainsi, la condition de linéarité est rarement observée, en particulier dans le numérique. Quand on utilise un paradigme attributionnel pour approcher une question conséquentielle, il faut donc noter qu’on fait l’hypothèse d’une linéarité entre impacts et UF, c’est-à-dire qu’on approxime par une fonction linéaire un phénomène qui ne l’est pas nécessairement.

Conclusion

Aucun de ces trois paradigmes (attributionnel, conséquentiel de court et de long terme) n’est intrinsèquement plus valable qu’un autre, aucun n’est par définition plus certain qu’un autre, puisqu’ils répondent chacun à des questions différentes, comme nous l’avons vu.

L’approche attributionnelle tend à normaliser l’inclusion des ressources par le suivi des flux physiques ainsi que par les règles d’allocation. Cependant, cette normalisation cache de nombreux choix subjectifs, voire politiques. De l’autre côté, l’approche conséquentielle est censée décrire une réalité environnementale issue de transformations physiques et socio-économiques. Cependant, déterminer les conséquences d’une action ainsi que ce qui se serait passé sans cette action est une démarche très incertaine qui repose également sur un certain nombre de choix politiques. Par exemple, les conséquences de long terme de la consommation électrique dépendent de la nature des infrastructures de production électrique qui seront déployées à l’avenir, et donc de notre politique énergétique.

Nous avons identifié une complémentarité dans les approches attributionnelles et conséquentielles long terme. Alors que la première est adaptée pour établir les "responsabilités" d’un service et de sa chaîne de valeur, en particulier liées aux infrastructures existantes, l’approche conséquentielle permet, elle, de se projeter dans le futur et de réfléchir aux conséquences environnementales positives et négatives des modifications apportées par le service. Dans le numérique, l’approche conséquentielle court-terme apparaît, elle, peu pertinente, les impacts environnementaux étant peu liés, à court terme, aux usages et étant davantage induit pas les infrastructures.

Peu importe l’approche utilisée, il nous semble nécessaire de le faire de manière éclairée en fonction de la question à laquelle l’approche doit répondre, des données disponibles et des moyens disponibles. L’étude du cas archétypique du mail, conduite avec Iroco, permet de montrer leur complémentarité pour guider la conception de services numériques, en particulier les approches attributionnelles et conséquentielles long terme.

Méthode Attributionnelle Conséquentielle
Court terme Long terme
Question théorique Quelle part des impacts totaux de mon système peut-on attribuer à l'Unité Fonctionelle ? Quel est l’impact environnemental de la mise en œuvre de l’UF ?
Question posée dans le cadre de l’étude comparé Iroco Quelle est la différence dans la part des impacts environnementaux issus de la technosphère attribuable à l’UF pour chacun des leviers implémentés ? Quelle est la différence d’impacts environnementaux induits par la mise en œuvre de l'UF pour chacun des leviers implémentés ? Quel est l’impact de la généralisation de chacun des leviers ?
Objectif Identifier des responsabilités environnementales associées à l’UF Identifier les impacts directement induits par la mise en œuvre de l’UF Identifier les impacts directement et indirectement induit par la mise en œuvre de l’UF
Impacts des infrastructures existantes OUI NON NON
Impacts de nouvelles infrastructures Dépends des circonstances NON OUI
Inclusion des impacts environnementaux En suivant les liens physiques (énergie, matière) En suivant les conséquences physique et économique induites par la mise en œuvre de l’UF a infrastructure constantes En suivant les conséquences physiques et socio-économiques induites par la mise en œuvre de l’UF
Types d’effets Directs Directs et une partie des effets indirects Directs & Indirects
Pertinence pour le numérique Forte Faible Très forte

Notes

Voici les références citées dans cet article :

5

Dans le cas d’une approche conséquentielle sur un changement passé, on inclura des conséquences passées, mais qui restent postérieures à la mise en œuvre initiale du service considéré.

8

Jens Malmodin (Ericsson), 2020, Fraunhofer IZM, www.electronicsgoesgreen.org 87ISBN 978-3-8396-1659-8 Electronics Goes Green 2020+

9

Jens Malmodin (Ericsson), 2020, Fraunhofer IZM, www.electronicsgoesgreen.org 87ISBN 978-3-8396-1659-8 Electronics Goes Green 2020+

10

Isabelle Blanc. EcoSD Annual Workshop - Consequential LCA. Annual Workshop Consequential LCA, Mar 2013, Rueil Malmaison, France. Presses des Mines, 88 p., 2015, Collection Développement durable, 978-2-35671-149-6. hal-01110162, Some fundamentals on ALCA and CLCA_